Dans quelques jours, c’est mon anniversaire. Et un anniversaire particulièrement important puisque je vais avoir 30 ans – ouais, ça ne se voit pas, mais mon obésité a ceci de plaisant qu’elle m’a donné une babyface qui me fait paraître jusqu’à 10 ans de moins. Et j’ai bien l’intention de fêter cela comme il se doit. Comme un pote me le faisait remarquer récemment quand je lui ai fait le décompte de toutes les fois où je vais faire péter le bouchon : C’est pas une fête, c’est un marathon.
Et qui dit grosse fiesta dit forcément ambiance musicale. Pas forcément ambiance kermesse avec flonflons et accordéon – je suis un peu jeune –, pas forcément non plus ambiance techno-dancefloor – je suis un peu vieille –, mais un bon résumé de ma vie et de la vie des gens avec lesquels je vais fêter ça. Donc un énorme pot-pourri de ce que j’aime et de ce que les gens que j’aime aiment. Certes, ce sera parfois dissonant à mort, mais ce n’est pas grave, du moment que différents univers cohabitent dans un même lieu.
Si je devais organiser un DJ set pour mon anniversaire, voici comment tout cela se déroulerait :
Les deux papys du rock qui ont bercé mon enfance et mon adolescence pour commencer la soirée, comme un retour aux sources. En effet, je ne compte pas les heures passées dans l’atelier de mon père à écouter Vinyle Fraise sur Europe 1, ni derrière mon poste de radio lorsque j’étais étudiante à écouterPop Rock Station. Pourquoi je retiens spécifiquement François Jouffa et Francis Zégut ? Parce qu’à l’instar de Jean-François Zygel, ils parlent de musique comme Floriana parlerait de cuisine : comme s’il n’existait rien d’autre au monde.
Ce genre d’obsessionnels m’a rendu moi-même obsessionnelle au point de toujours rechercher une référence, l’histoire du groupe dont je n’ai écouté que quelques notes qui m’ont touché au cœur. Ils me mitonneraient un petit set avec quelques raretés plaisantes qu’eux seuls connaissent – par contre, il faudrait les faire taire pendant ce temps-là –, histoire d’accueillir mes invités dans les meilleures conditions. Puis ils iraient rejoindre la maison de retraite – respectivement 50 et 35 ans de carrière, ce ne serait pas bon de les crever non plus.
Pendant l’apéro/le repas : mes mestres d’orchestre
Comme tous musiciens professionnels qui se respectent, mes mestres ont tous un iPhone avec au moins leur vie en chansons. Certains sont obsessionnels du funk ou du dub, mais d’autres sont plus éclectiques et savent diffuser instinctivement LE son qui faut à chaque situation. Je pense notamment à mon Mestre Boy, qui m’enseigne patiemment sa maladie mentale, le maracatu, depuis 3 ans – son Tumblr témoigne pour lui. Mais je pense que chacun de mes mestres, à sa manière, saurait mettre l’ambiance comme il faut pour rapprocher les gens. Comme dans un pagode où chacun tape avec ce qu’il a – ses mains, son verre, son couteau, sa bouteille de vin, sa boîte de camembert… Au pire, si je fais une teuf au milieu d’un champ, je peux compter sur eux aussi pour qu’ils ramènent leurs instruments pour faire unpagode d’anthologie.
Tous deux sont animateurs sur la bonne radio, man. Marjorie est spécialiste du son grand-breton et saura aisément me faire un set avec tout ce que je nommerais comme la brit-disco – en gros, cette espèce de rock qui se fait sauter en l’air et te sentir bien, à l’image de ce que peut être Franz Ferdinand. Elle jouerait en alternance avec Pierre, Mr alternative rocktous les soirs avec Bring the Noise, mais surtout assez calé électro, comme il nous le prouve le week-end. Si avec eux deux, mes invités ne commencent pas à pousser les tables et à investir le floor, je peux considérer que ma soirée est gâchée.
J’ai rencontré Stéphanie, une des créatrices de Faubourg Simone, grâce à LR. Elle mixait fort bien, ça changeait des éternelles querelles d’iPod entre les gens de l’agence et ça nous a permis de bien danser. Ensuite, je suis allée à un de ses sets dans une petite cave du 2e arrondissement. Et j’étais tellement enthousiaste que j’étais toute seule à danser sur la piste pendant à peu près deux heures, avant que les gens daignent se ramener sur le floor. Bref, ses sets, à l’instar de la programmation de sa webradio, sont pointus sans pour autant être élitistes. Exactement comme les iPhone de mes mestres. C’est ce que j’aime chez Stéphanie.
Pour chiller au petit matin : mes mestres s’ils ne sont pas couchés
Et je laisserai même la programmation exclusive à Mestre Kalo qui, outre son goût particulier pour le reggae et le dub, m’a fait découvrir deux-trois trucs bien free jazz dont je le remercie de la découverte. De quoi redescendre la tension pour ceux qui sont trop vénères et permettre aux autres d’aller se coucher tranquillement.
Bref, dans l’idéal, mon dream set aurait de la gueule, pas comme un set basique de n’importe quel DJ de FG, ou encore pire, de David Guetta. Mais l’important, finalement, ce ne sera pas quelle ambiance musicale j’aurai pour mon changement de décennie, mais les personnes qui le fêteront avec moi 🙂
Pour les personnes qui ne l’avaient pas remarqué, je reviens d’à peu près trois semaines en Asie du Sud-Est. En effet, je m’étais fait la promesse d’effectuer un premier voyage vers cette région du monde qui me fascine tant avant mon trentième anniversaire. Il était temps : ça arrive très vite. Pour ce premier voyage, je suis donc partie voir de la famille à Singapour, petit caillou au bout de la Malaisie qui fut longtemps sous protectorat anglais, et tant qu’à faire, j’ai poussé le vice jusqu’à aller à Bali (m’enfin si j’avais été autrement accompagnée et dans une meilleure santé, je me serais davantage aventurée du côté du Cambodge. Ce sera l’objet du deuxième ou du troisième voyage…). J’en retiens énormément d’images, de couleurs, de saveurs, d’odeurs – la plus marquante, voire traumatisante, restera celle du durian – et, vous vous en doutez, de sons.
Il ne faut pas faire de généralités quand on parle de patrimoine musical d’Asiedu Sud-Est comme il est difficile de créer une unité dans le patrimoine musical européen, même si, dans un cas comme dans un autre, il existe quelques constantes à appliquer à ces différents patrimoines. Par exemple, l’image que l’on a de la musique de l’Asie en tant que non-initié est celle d’une musique où les instruments métalliques et les flûtes sont omniprésents – même en Inde où l’instrument phare est le sitar, quand les autres répertoires font davantage appel à des métallophones divers. Le tout servi avec diverses percussions assez étranges, d’où l’exaltation de mes divers mestres et l’exhortation de mes amis batuqueiros à voir des spectacles de gamelan. Chose que j’ai évidemment faite et qui m’a ravie au plus haut point.
Partie de ces considérations, voici donc les souvenirs que je rapporterai de ce voyage tant fantasmé.
A Bali, la musique est sacrée
J’ai eu la chance d’assister dès mon arrivée à Bali à Nyepi, ce qui correspond au Nouvel an hindouiste. Même si la journée du silence, le mardi 12 mars, qui est la conclusion des festivités du Nouvel an, a un peu obligé les touristes à rester parqués dans les hôtels, les défilés du 11 mars au soir étaient juste somptueux. En effet, sous l’impulsion des gamelans, les habitants des quartiers des villes symbolisent les esprits à invoquer et à chasser avec d’immenses statues en polystyrène et des saynètes dans la rue.
J’ai également assisté à une magnifique démonstration de danse legong et barong dans un temple d’Ubud. Je m’explique : la danse legong est la danse la plus populaire à Bali avec le kecak. Tout y est codifié : même le moindre hochement de sourcil a une signification particulière ! Et pour en avoir eu une démonstration particulièrement ratée dans un hôtel à Sanur, je peux vous dire que la maîtrise de l’art de la danse balinaise n’est pas donnée à n’importe qui. A l’origine, la danse legong est la danse des nymphes divine. Elle s’ouvre par une danse en solo, le condong, puis deux danseuses viennent exécuter une danse en miroir avec des éventails.
Ce n’est pas tant la danse – absolument superbe quand elle est bien exécutée – que le gamelan qui m’obsédera désormais à jamais. Alors bien sûr, quand on ne veut pas s’ouvrir, on pensera qu’un gamelan joue éternellement le même morceau. Ce serait oublier que cet orchestre particulier n’obéit pas aux principes de la gamme chromatique, puisqu’elle se compose de deux gammes : heptatonique (7 tons) et pentatonique (5 tons) (et puis merde, vous savez utiliser Internet ? Et ben vous savez utiliser Wikipedia, là n’est pas le plus important), ce qui, vous comprendrez, par rapport aux douze tons de la gamme chromatique, limite les possibilités mélodiques. D’autre part, les morceaux de gamelan sont cycliques. D’où effectivement l’impression que c’est toujours la même chose qui passe en boucle. Mais ce serait faire abstraction de tout l’aspect méditatif ou expressif de cette musique.
Mes souvenirs musicaux du voyage
The XX, Reunion
Il me fallait me mettre dans l’ambiance de la détente dès le trajet aller. Et joie ! De la musique assez sympa était proposée par la compagnie aérienne. Donc, après m’être fait un gros flip en matant Argo, il me fallait bien de la musique un peu aérienne pour pouvoir passer les 13h du premier jet sans encombre. Bref, The XX a encore une fois frappé mon esprit.
Les Têtes Raides, Qu’est-ce qu’on se fait chier
Logique, quand tu es dans un pays étranger et que tu es parqué dans ton hôtel avec aucune possibilité de visiter aux alentours. T’as juste la haine d’avoir fait 12.000 km pour pas grand-chose. Et en plus, t’attrapes des coups de soleil. Bref, c’est grave nul.
Rage Against the Machine, Settle for nothing
Autre moment de haine bien caractéristique de ce charmant voyage : je m’aperçois que j’ai booké un logement où la plage est à une demi-heure à pied, où il faut un taxi pour faire quoi que ce soit, que j’y arrive un jour de pluie et que, pour couronner le tout, le wifi ne marche pas. Dans ce cas bien précis, comme un jour d’ « accident de personne » à Villeneuve-Prairie, j’ai cette chanson cathartique qui résonne dans mes oreilles. Bon, en l’occurrence, ça n’arrange pas la situation, mais ça permet de l’aborder avec un peu plus de calme.
Bob Marley and the Wailers, One love/People get ready
Dans ma vie, j’ai connu plusieurs types de chauffeurs de taxi : celui qui me passait du Julio Iglesias, du blues K1f, Beur FM, RMC ou du gamelan – logique, quand on est à Bali. Et puis il y a celui qui ne la joue pas à l’envers, en revenant de Kuta, et qui te met en fond sonore l’intégrale du Legend. Après avoir pris peur sur la possibilité qu’il soit sous influence toxicologique, ce qui, du fait de la conduite à gauche à Bali et des petites routes que nous avions à emprunter, inquiétait ma comparse et moi-même au plus haut point, nous nous sommes finalement prises à chanter en chœur devant la sérénité du monsieur qui nous conduisait. Merci, Bob.
Girls Generation, I got a boy
Un matin, ma comparse met la télé pour s’acclimater à la culture asiatique en termes de musique populaire. Elle reste bouche bée devant ce qui ressemble à un clip des L5 sous acide. Je lui dis : Mais tu ne connais pas la K-Pop ? Ca cartonne grave ! Moi-même m’étant insurgée plusieurs fois contre le Gangnam Style dans ces colonnes, je me suis intéressée au phénomène de la K-Pop pour comprendre la fascination de mes contemporains. Bof, en gros, c’est ce qu’on écoutait, nous Européens, il y a 15 ans, avec de surcroît une caution Hello Kitty.
The Bee Gees, How deep is your love
et Toni Braxton, Unbreak my heart
J’étais donc dans une station balnéaire à l’ouest de l’île de Bali, quand j’entends de la musique venant des diverses paillottes et des bars avec piscine qui jonchent le bord de plage. Je me suis dit que les Asiatiques, encore une fois, avaient également une notion assez bizarre de la musique occidentale. En gros, ils kiffent tout ce qui est sirupeux, tout ce qui est « romantique », et j’aurais grand désespoir sur les goûts asiatiques concernant la musique « européenne » si je n’avais pas surpris un pêcheur chanter sur la plage : Eeeexceeeeed light iiiiiiiiiin theeeee niiiiiight !
Tragédie, Hey Ho
Dernier souvenir musical assez incongru, qui m’interroge encore sur les goûts asiatiques concernant la musique européenne. J’étais en transit pour attendre mon dernier avion, qui avait trois heures de retard. Et donc, dans un restaurant de l’aéroport, entre deux chansons locales, j’entends ce vestige du passé comme un fantôme qui vient me récupérer alors que je suis au fond du trou moralement. On n’était pas loin du pétage de câble avec ma comparse…
A vrai dire, donc, ce que je retiendrai de mon voyage en Asie, c’est que j’ai assez profité du magnifique répertoire musical balinais pour ne pas tenir rigueur de la perception assez étrange que les Asiatiques se font de la musique occidentale. Maintenant, je peux me remettre dans le bain, et je vous promets d’être toujours aussi vigilante sur la musique et ses représentations.
Certes trois semaines, mais je pars très loin. Dans des contrées qui m’ont longtemps fait fantasmer. Vers l’endroit qu’on dit être le plus beau du monde. Mais je vous le dis tout de suite : vous allez me manquer. Mon quotidien à Paris aussi, d’ailleurs.
Je continue mon périple vers le désert spirituel au paradis et je me dis que ce n’est pas donné à tout le monde. Vous savez de quel paradis je parle : l’endroit dont on rêve de manière obsessionnelle, l’endroit que l’on imagine pour oublier sa souffrance résiduelle. Bref, ce voyage va faire du bien à moi et ma comparse, après les épreuves que nous avons traversées.
Bien sûr, là où je vais, je m’attends à être choquée. Choquée par la population, par les bruits, les parfums, les rencontres, la société que je vais rencontrer. Mais comme dirait le poète : Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.
Je rapporterai des milliers de souvenirs de ce voyage aux antipodes, tellement jusqu’à la poussière et les insectes m’émerveilleront (peut-être pas les insectes, mais bon, hein). J’aurai dans mes bagages pour certaines personnes quelques souvenirs, en plus de mes photos et de mes récits de voyage.
Ce sera aussi trois semaines sans écrire. Mais quel besoin d’écrire quand ce qui m’attend se passe de mots ? Quel besoin de prendre un clavier quand les émotions que je ressentirai seront plus fortes que ce que je n’ai jamais ressenti auparavant ?
Voilà, mes amis. Après un an de teasing de dingue, je pars enfin. Mais ne vous inquiétez pas : on se retrouvera. Promis.