Avant de partir me ressourcer, j’aimerais faire un dernier petit cours de musique à destination des lectrices de Ladies Room. Un petit cours à rebours des humeurs du moment, mais concernant une musique dont j’apprécie le processus de création : le raï.
Cette musique, qu’on attribue aujourd’hui à tort à tout l’ensemble du Maghreb, est en réalité d’origine algérienne, et plus exactement oranaise. L’histoire du raï pourrait tout aussi bien être l’histoire de la musette, du hillbilly, du gnawa ou de l’afro-beat, à savoir une expression populaire de la musique qui tarda à se faire reconnaître des autorités pour ensuite devenir quasiment musique emblématique d’une nation.
Raï vient d’un mot signifiant opinion, point de vue. À l’origine, le cheikh (maître) prodiguait sa sagesse sous forme de poèmes chantés. Il s’agissait aussi d’une forme de complainte populaire où un chanteur se plaignait d’avoir cédé sa raison face à ses sentiments. D’abord confiné à la région d’Oran, ce style d’expression musicale s’est répandue au Nord-Est du Maroc, dans la région du Rif, au XIXe siècle.
Les origines du raï contemporain trouvent leur source dans les années 1920. Il y avait à la fois le répertoire des rites traditionnels, tels que les mariages et les offices religieux, respectueux des bonnes mœurs islamiques, et le répertoire des souks et des tavernes, plus axé sur l’alcool et le sexe. C’est ce deuxième répertoire qui a donné une mauvaise réputation à tout le répertoire musical, au point de ne pas être considéré par les autorités.
Des premières évolutions sont à noter dans les années 1930, quand les influences traditionnelles commencent à intégrer les apports de tout le Maghreb, mais aussi les influences espagnoles, juives et françaises. L’indépendance de l’Algérie a permis une expansion du style dans tout le pays, voire dans tout le Maghreb.
La dernière mutation du raï est sa modernisation et sa prise de dimension internationale dans les années 1980. Dans la mouvance world music qui commence à prendre dans ces années-là, le raï s’accorde avec le rock, le reggae et la musique électronique. C’est aussi la période où, en Algérie, il devient officiel, notamment avec le festival raï d’Oran, en 1985. Devant l’engouement de la jeunesse, les autorités se voient forcées d’accepter ce genre musical considéré comme profane et subversif.
La première étape de l’internationalisation du raï est sa popularisation en France. Dès lors que le journaliste algérien Mohamed Balhi a fait écouter à son homologue de Libération Jean-Louis Hurst quelques morceaux, la folie raï s’est emparée de la jeunesse de France issue de l’immigration maghrébine. Les figures de proue, dès 1987, sont Cheb Mami et Cheb Khaled. S’en suivent diverses fusions avec divers avatars : le rock avec Rachid Taha, la pop avec Faudel, le r’n’b avec Mohamed Lamine…
Bref, le raï, comme tout bon répertoire world, a su allier tradition et modernité. Même si, parfois, les mélanges ne sont pas très heureux (en témoigne le désastreux Raï’n’B fever), le raï offre un potentiel intéressant, comme le gnawa, pour qui veut découvrir davantage la culture algérienne.
Je vous laisse avec une petite friandise : Madeeh, interprété par Khaled lors du concert 1, 2, 3 Soleils en 1998.